CLEMENT D'ALEXANDRIE
- refaelbastard
- 1 nov.
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Saint Clément d'Alexandrie : Théologie et vie de l'Église
Saint Clément d'Alexandrie, Père de l'Église du IIe siècle, a laissé une œuvre considérable qui témoigne de la maturité théologique de l'Église primitive. Ses Stromates et son Discours aux Gentils constituent une source majeure pour comprendre la doctrine, l'organisation ecclésiale et la spiritualité chrétienne des premiers siècles.
L'Église, Corps du Christ
L'Église comme principe d'unité
Stromates, livre I, V, II - L'Apôtre s'exprime ainsi pour arriver à l'édification du Corps de notre Seigneur Jésus Christ, qui est la Tête et l'Homme en quelque sorte, le seul qui soit parfait et consommé dans la justice. Mais nous, qui sommes des enfants, nous devons prendre garde d'être emportés par les vents de l'hérésie et ne point ajouter foi aux paroles de ceux qui nous instruisent d'une manière contraire aux doctrines de nos pères. Le seul moyen de devenir parfaits est d'accepter Jésus Christ pour notre chef, et de faire partie de son Église.
Stromates, livre IV, XXVI - En effet, une cité me représente une chose bonne; un peuple, une agrégation d'hommes vertueux, une multitude gouvernée par la loi, comme l'Église par le Verbe. La cité indestructible, que l'ennemi ne peut assiéger, que la tyrannie ne peut opprimer, c'est la Volonté de Dieu s'accomplissant sur la terre comme dans le ciel.
La hiérarchie ecclésiale
Stromates, livre III, XII - Les relations habituelles du lien conjugal font de l'époux parfait une sorte de providence qui veille à tous les besoins de la communauté. Voilà pourquoi il faut, dit l'Apôtre, n'instituer évêques que ceux qui se sont préparés, par le gouvernement de la famille, au gouvernement de l'Église entière.
Stromates, livre VI, XIII - Il y a dans le ciel de hauts degrés de gloire réservés aux véritables gnostiques et correspondant aux dignités d'évêque, de prêtre et de diacre dans l'Église terrestre. L'homme qui, après avoir modéré d'abord ses passions, s'est ensuite exercé à l'impassibilité, puis est monté progressivement jusqu'à la pratique du bien qui constitue la perfection gnostique, devient sur la terre semblable aux anges.
On est véritablement prêtre de l'Église, on est diacre dans toute la rigueur de ce mot, c'est-à-dire, ministre de la Volonté de Dieu, quand on exécute et que l'on enseigne ce que veut le Seigneur. L'ordination, le sacerdoce, ne font pas la justice. On n'est regardé comme prêtre que parce que l'on est juste.
Stromates, livre VII, I - Il en va de même dans l'Église. Les prêtres sont les représentants du culte qui rend meilleur : les soins et l'assistance sont dévolus aux diacres. Les anges servent Dieu par ce double ministère dans le gouvernement des choses terrestres.
L'unité de l'Église contre les hérésies
Stromates, livre VII, XVI-XVII - Il faut donc croire à ceux qui adhèrent fermement à la vérité. Les Gentils s'appuient donc sur un prétexte frivole. La découverte de la Vérité est toujours entre les mains de quiconque la cherche. S'il existe une démonstration, il est donc nécessaire d'entrer dans les discussions de la controverse, et d'apprendre démonstrativement par les Écritures comment d'une part, se sont introduites les hérésies; de l'autre, comment la Vérité seule et l'Église à laquelle appartient l'antériorité, sont les dépositaires de la connaissance la plus parfaite et du choix le plus légitimement arrêté.
Assurément, s'ils l'avaient, ils ne manqueraient point de se soumettre à l'autorité de l'Église. Comme ils n'ont ni étudié les mystères de la connaissance dont l'Église a le dépôt, ni compris l'excellence de la Vérité, parce que leur incurie, contente de lire à la surface, a négligé de pénétrer jusque dans le fond des choses, ils ont dit adieu aux Écritures.
Trois affections diverses se disputent notre âme, l'ignorance, l'opinion, la science. L'ignorance est le partage des nations; la science appartient à l'Église; l'opinion, aux disciples de l'hérésie.
Le gnostique est donc le seul qui, ayant vieilli sur les Écritures et gardant l'inviolable pureté des dogmes qui lui viennent des apôtres et de l'Église, vive d'une vie bien réglée selon l'évangile et trouve des démonstrations telles qu'il les cherche.
Il sort de ce qui précède qu'il n'y a qu'une seule Église véritable, l'Église, à laquelle appartient à juste titre l'antériorité, et dans le catalogue de laquelle sont inscrits ceux qui sont justes avec la ferme volonté de l'être. Il n'y a qu'un Dieu, qu'un seul Seigneur. Conséquemment la chose éminemment digne de notre vénération ici-bas, se distingue aussi par son unité, reflet du principe unique.
Stromates, livre VII, XIV - L'Église, chœur saint et spirituel, est nommée dans un sens allégorique le Corps du Seigneur : quiconque se borne à porter le nom de chrétien, sans vivre de la vie du Verbe, n'est que chair. Mais "celui qui adhère au Seigneur en esprit" devient, par la différence de l'union, un corps spirituel; qu'est-ce à dire ? fils dans toute la vérité du mot, homme de sainteté, impassible, gnostique, parfait, formé à l'école du Seigneur.
La divinité du Christ et la Sainte Trinité
Le Fils, Verbe éternel du Père
Stromates, livre I, V - "Tressaille d'allégresse, fille de Sion ; pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ; voilà que ton Roi vient vers toi, juste, doux et sauveur, monté sur une ânesse et sur le fils de l'ânesse." L'Écriture ne se contente pas de se servir du terme d'ânon, elle ajoute que cet ânon était né depuis peu, exprimant ainsi avec simplicité comment le Christ est nouveau selon la chair, et éternel selon sa Génération divine.
Stromates, livre I, VIII - Dieu est un, au-delà de l'un et au-dessus même de l'unité. "Mon Père, Je désire que là où Je suis, ceux que Tu M'as donnés soient aussi avec Moi, afin qu'ils contemplent la Gloire que Tu M'as donnée, parce que Tu M'as aimé avant la création du monde. Père juste, le monde ne T'a point connu ; mais Moi, Je T'ai connu, et ceux-ci ont connu que Tu M'as envoyé, et Je leur ai fait connaître ton Nom, et Je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont Tu M'as aimé soit en eux et Moi en eux."
La Justice et la Bonté divines unies
Nous attribuons la bonté au Père et la justice au Fils, qui est le Verbe du Père, parce que ces vertus sont inséparables comme leurs Personnes, et que leur Puissance est infinie et égale comme leur Amour. Il jugera l'homme selon ses œuvres, nous faisant auparavant connaître Jésus, qui est sa Justice ; et Jésus nous faisant connaître son Père, qui est sa Bonté.
Le Fils de Dieu nous dit que la Bonté de son Père s'étend également sur les bons et sur les méchants. "Soyez donc, dit-Il, miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Personne n'est bon, si ce n'est mon Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes."
Notre Seigneur Jésus Christ est donc le Fils du Créateur, c'est-à-dire de Celui qui est juste, puisque la Justice du Créateur n'est mise en doute par personne. Ce qui est juste est nécessairement bon. "Personne, dit-Il, n'est bon, si ce n'est le Père." Mais le Fils, qui est dans le Père, n'est-Il pas bon aussi ? Il n'y a donc qu'un seul Dieu, bon, juste, créateur, Père et Fils tout ensemble, à qui grâces soient rendues dans les siècles des siècles. Amen.
L'Incarnation pour le salut
Il est naturel à la Douceur du Verbe de menacer ceux qu'Il veut sauver. C'est un digne remède de sa Bonté toute divine, de nous faire rougir de nos fautes et de nous en détourner par la honte. Nous devons même Lui savoir gré de sa Colère, si l'on peut appeler colère les avertissements pleins de bienveillance que son Amour pour nous Lui fait nous donner, et songer que si Dieu ressent nos passions, c'est qu'Il S'est fait homme pour nous sauver.
Le Baptême, illumination divine
La grâce du baptême
Stromates, livre I, VI - Baptisés, nous recevons la lumière ; éclairés, nous sommes faits enfants de Dieu ; enfants de Dieu, nous devenons parfaits ; parfaits, nous devenons immortels. "Je l'ai dit, vous êtes tous les fils du Très-Haut." Plusieurs noms divers distinguent cette Opération divine et mystérieuse. On l'appelle Grâce, Illumination, Perfection, Baptême. Baptême, parce qu'elle efface et lave nos péchés ; Grâce, parce qu'elle nous remet les peines que nos péchés méritent ; Illumination, parce qu'elle nous fait voir cette Lumière sainte et salutaire au travers de laquelle nous apercevons les Choses divines ; Perfection, parce qu'il ne manque rien à celui qui la reçoit.
À peine sommes-nous baptisés que les ténèbres qui nous aveuglaient se dissipent et que la Lumière de Dieu nous éclaire. Ainsi le baptême, en nous lavant de nos péchés, qui sont comme d'épaisses ténèbres, ouvre notre âme à l'Esprit divin. L'œil de notre âme devient aussitôt clair et lucide ; l'Esprit saint descend en nous, et nous voyons clairement les Choses divines.
Pour guérir nos infirmités, il n'y a qu'un remède salutaire, le Baptême du Verbe. Il nous lave de toutes nos fautes et nous voilà sur-le-champ délivrés du mal. Telle est la Grâce unique de l'illumination : après le baptême, nous sommes transformés.
L'égalité dans le Christ par le baptême
"Vous êtes tous des fils par la foi en Dieu dans le Christ Jésus ; vous tous, en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, il n'y a plus d'homme ni de femme, car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus." Dans le Verbe, on ne distingue pas les gnostiques des êtres psychiques, mais tous ceux qui ont dépouillé les convoitises charnelles sont "pneumatiques" auprès du Seigneur.
Stromates, livre III, XII - Nous n'avons donc qu'un seul Père qui est dans les cieux ; mais qui, par la création, est Lui-même le Père de toutes choses. Ainsi donc, il veut que, convertis au Seigneur, nous redevenions comme des enfants qui reconnaissent leur véritable père, régénérés qu'ils sont par l'eau du baptême, autre création dans la création.
L'Eucharistie, nourriture du Verbe
Le Pain et le Sang du Christ
Stromates, livre I, VI - Telle est la nourriture dont le Seigneur nous parle dans l'évangile selon saint Jean, lorsqu'Il nous dit : "Mangez ma Chair et buvez mon Sang." Cette nourriture est l'image évidente de la Foi et de la Promesse. Par ce breuvage et cet aliment, l'Église, semblable à un homme formé de plusieurs membres, est arrosée et solidifiée. Elle nourrit son corps et son âme : son corps, de foi ; son âme, d'espérance.
Le Verbe est tout pour le petit enfant : père, mère, pédagogue et nourricier. "Mangez ma Chair, nous dit-Il, et buvez mon Sang." C'est la nourriture exquise que le Seigneur nous donne : Il offre sa Chair, Il verse son Sang, afin que ses enfants ne manquent de rien pour se nourrir et pour croître.
Le Pain du ciel
Le Verbe déclare Lui-même qu'Il est le Pain des cieux : "En vérité, en vérité, Je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le Pain du ciel ; mais mon Père vous donne le véritable Pain du ciel ; car le Pain de Dieu est Celui qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Le Pain que Je vous donnerai est ma Chair, ma Chair que Je donnerai pour la vie du monde."
Remarquez ici le mystère de ce Pain que Jésus Christ appelle sa Chair. Comme un grain de blé est ensemencé, et pourrit avant de s'élever en épi, de même la Chair sortira du tombeau. Elle sera également une nourriture qui comblera l'Église de joie, comme le blé, lorsqu'il se trouve transformé en pain par la cuisson.
Melchisédech, figure de l'Eucharistie
Stromates, livre IV, XXV - Melchisédech, roi de Salem, pontife du Très-Haut, offrant, en figure de l'Eucharistie, le pain et le vin sanctifiés, n'est pas autre chose que notre Seigneur. Il y a mieux : le mot de Melchisédech lui-même signifie roi juste. La justice et la paix sont donc synonymes.
La Croix, instrument du salut
La victoire sur la mort
Discours aux Gentils, 114 - Le Verbe a transporté l'Occident au Levant ; en clouant la mort à sa propre croix, il l'a montrée transformée en la vie ; divin agriculteur, il a suspendu au firmament l'homme arraché par lui au trépas ; il a échangé la corruption en incorruptibilité, et, sous sa main, la terre est devenue le ciel.
Isaac, figure du Christ
Stromates, livre I, V - Quelle est cette fenêtre au travers de laquelle Se montre le Seigneur ? Cette fenêtre est la chair dont Il S'est revêtu. Isaac est le type et la figure du Seigneur, comme enfant et comme fils. Il est en effet le fils d'Abraham, comme le Christ est le Fils de Dieu. Victime offerte en holocauste comme le Seigneur, quoique son sacrifice n'ait pas été accompli, ainsi que celui du Christ, Il a porté le bois qui devait le consumer comme Jésus Christ le bois de sa croix.
La foi et les œuvres
Stromates, livre VI, XIV - "Ta foi t'a sauvé" : nous ne supposons pas que le Sauveur ait voulu dire d'une manière absolue que tous ceux qui croiront, n'importe comment, seront sauvés. Nous savons qu'il faut joindre les œuvres à la foi.
Stromates, livre VI, XV - Tous les prophètes qui ont prédit l'Avènement du Seigneur, et avec cet Avènement les Mystères qui en étaient la conséquence, endurèrent la persécution et furent mis à mort comme le Seigneur. "Après avoir parcouru les livres que nous ont laissés les prophètes, où Jésus Christ est nommé tantôt en paraboles, tantôt en énigmes, tantôt sous des termes formels et incontestables, nous y avons trouvé son Avènement, sa Croix, sa Mort, tous les supplices dont les Juifs L'ont accablé, la Résurrection et son Ascension au ciel."
Conclusion
L'œuvre de saint Clément d'Alexandrie témoigne d'une théologie chrétienne pleinement développée au IIe siècle. Sa vision de l'Église comme Corps du Christ, dépositaire de la vérité apostolique, sa doctrine trinitaire, sa théologie sacramentelle et sa christologie affirment avec force les fondements de la foi catholique. Le gnostique véritable, selon Clément, est celui qui vit dans l'unité de l'Église, nourri par les sacrements et guidé par la Tradition apostolique vers la perfection en Christ.





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