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CLEMENT VI, ST BERNARD ET L'IMMACULEE CONCEPTION

  • refaelbastard
  • 31 oct.
  • 10 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 nov.


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Clément VI, saint Bernard et l'Immaculée Conception : Une critique de la méthode apologétique du site "Par la foi"


Analyse des erreurs herméneutiques dans l'utilisation de sources catholiques médiévales


Introduction : Le problème méthodologique


Le site apologétique protestant "Par la foi" utilise des citations de saint Bernard de Clairvaux (†1153) et du pape Clément VI (†1352) pour contester le dogme catholique de l'Immaculée Conception. Cette démarche soulève une question méthodologique fondamentale : peut-on légitimement instrumentaliser des auteurs catholiques médiévaux contre une doctrine définie par l'Église catholique en 1854 ?


Cet article examine les textes sources, leur contexte historique, et identifie les erreurs d'interprétation commises par le site "Par la foi".


I. Ce que dit le site "Par la foi"


La thèse du site


Dans son article sur l'Immaculée Conception, le site affirme :

"Cette citation est pertinente à plusieurs égards. Premièrement elle exprime clairement une opposition à l'Immaculée Conception de Marie avant qu'elle ne devienne un dogme obligatoire. Cette opposition n'a donc rien de protestant. Clément VI est devenu pape en 1342, il n'était pas hérétique. Deuxièmement, Clément VI fait la même lecture que nous des pères et de saint Bernard, puisqu'il mentionne « de nombreux saints » dont Bernard, nommément, qui disent que Marie a été conçue dans le péché originel."

Deux affirmations centrales :

  1. Clément VI exprime une "opposition claire" à l'Immaculée Conception

  2. Clément VI et Bernard partagent la lecture protestante de la question mariale


La citation de Clément VI utilisée par le site


Le site cite un texte attribué à Pierre Roger (futur Clément VI) en 1339 :

"Le cardinal de Rouen [futur pape Clément VI], dans son apologie de la célébration de la fête de la Conception en 1339, écrivit : « L'Église fête la Conception de la Bienheureuse Vierge pour se réjouir de sa sanctification ; toutefois, comme disent plusieurs des saints, et même l'abbé Bernard, elle a été conçue dans le péché originel en ce qui concerne la cause, car elle a été conçue d'un homme et d'une femme et, d'après la voie commune de la génération charnelle. Mais il y a doute et controverse entre les docteurs pour savoir si elle l'a été quant à la forme. [...] Je dis donc que ceci, savoir qu'elle a été conçue dans le péché originel quant à la cause, est hors de doute. Mais quant à savoir si elle l'a été quant à la forme [...] peut être tenu l'un et l'autre parti [...]. D'après cette doctrine [...] la fête de la Conception de la Bienheureuse Vierge se fêtera par juste raison."

Note méthodologique importante : Cette citation provient de la Letter to Pusey (1866) de John Henry Newman, qui cite lui-même une source dont l'original médiéval n'a pu être vérifié. Il s'agit donc d'une source de troisième main.


II. Les textes de saint Bernard


A. La Lettre 174 aux chanoines de Lyon (vers 1140)


Source vérifiée : Epistola 174 ad canonicos Lugdunenses de conceptione Mariae, dans Sancti Bernardi Opera omnia, t. VII, éd. J. Leclercq, C.H. Talbot, H.M. Rochais, Rome, Editiones Cistercienses, 1974.


1. Les objections de Bernard contre la fête


Objection liturgique :

"[C'est] une nouvelle célébration que le rite de l'Église ignore, que la raison n'approuve pas, que l'antique tradition ne recommande pas [...] une nouveauté présomptueuse, mère de la témérité, sœur de la superstition, fille de la légèreté !"

Objection philosophique :

"Comment la conception aurait-elle pu être sainte, puisqu'elle n'a pas été sans péché ? Pour être sainte il faut commencer par être ; or on n'est pas, tant qu'on n'est pas conçu."

Objection théologique :

"Seul le Christ a été conçu sans péché."

Analyse : Bernard rejette la fête de la Conception pour trois raisons : absence d'autorité romaine, impossibilité philosophique (on ne peut sanctifier ce qui n'existe pas encore selon la théorie de l'animation différée), et unicité du Christ conçu par l'Esprit Saint.


2. La soumission à l'autorité romaine (citation omise par "Par la foi")

"Toutefois je soumets mon opinion au jugement des personnes qui sont plus habiles que moi, mais je déférerai particulièrement en ce point, comme dans tous les autres de ce genre, à la décision et à l'autorité de l'Église romaine."

Importance critique : Bernard se soumet par avance à un jugement magistériel futur, même contraire à son opinion personnelle. Cette soumission rend illégitime son instrumentalisation contre un dogme ultérieurement défini par Rome.


B. La mariologie élevée de Bernard (citations omises par "Par la foi")


1. Marie médiatrice et canal de grâce

Source vérifiée : Sermon sur la Nativité de la Vierge Marie (PL 183).

"Ce filet d'eau du Ciel est descendu à nous par un aqueduc [...] L'aqueduc est rempli par ce filet, et on recevait de sa plénitude."

Doctrine affirmée : Marie est aqueduc de la grâce, médiatrice entre Dieu et les hommes. Cette doctrine sera formellement rejetée par la Réforme protestante (solus Christus).

2. Marie exempte de tout péché actuel

"Après sa sanctification, elle ne fut jamais souillée par aucun péché actuel."

Doctrine affirmée : Marie possède une impeccabilité de fait tout au long de sa vie. Les Réformateurs rejetteront cette affirmation, soutenant que tous ont péché (Romains 3:23).

3. Marie sanctifiée avant sa naissance

"Elle avait été comblée de grâce et de sainteté dans le ventre même de sa mère. [...] Sanctifiée dans le sein maternel, comme Jérémie et Jean [Baptiste]."

Doctrine affirmée : Marie fut sanctifiée in utero, avant sa naissance. Bernard maintient toutefois un délai temporel entre conception et sanctification.


Chronologie bernardine :

  1. Conception naturelle

  2. Animation (création de l'âme)

  3. Présence temporaire du péché originel

  4. Sanctification miraculeuse in utero

  5. Naissance d'une personne déjà sainte


III. Analyse critique : les erreurs du site "Par la foi"


A. Première erreur : Confusion entre opinion provisoire et opposition doctrinale

Affirmation du site : Clément VI et Bernard "s'opposent clairement" à l'Immaculée Conception.


Réalité historique :

  1. Clément VI ne "s'oppose" pas : il dit explicitement que "peut être tenu l'un et l'autre parti". C'est une suspension prudente du jugement, non une opposition.

  2. Bernard ne "s'oppose" pas à la doctrine : il s'oppose à une fête liturgique non autorisée, fondée sur une philosophie (animation différée) qui sera ultérieurement dépassée.


Distinction fondamentale :

  • Opposition doctrinale = affirmer qu'une doctrine est fausse et doit être rejetée

  • Opinion théologique provisoire = préférence intellectuelle sur une question non encore tranchée par l'Église


Analogie : Dire que Bernard "s'oppose" à l'Immaculée Conception est aussi inexact que d'affirmer qu'un médecin du XVIIIe siècle "s'opposait" à la théorie microbienne simplement parce qu'il ne la connaissait pas encore.


B. Deuxième erreur : Citation sélective et omission du contexte


Ce que le site cite :

  • Les réserves de Bernard sur la fête

  • L'affirmation que Marie fut conçue "selon la cause" du péché originel


Ce que le site omet systématiquement :

  • La soumission explicite de Bernard à l'autorité romaine

  • Sa mariologie exaltée (médiatrice, impeccable, sanctifiée in utero)

  • Le contexte philosophique (animation différée, dépassée par Duns Scot)

  • La distinction de Clément VI entre "selon la cause" (certain) et "selon la forme" (débattu)


Effet de cette omission : Créer l'illusion que Bernard et Clément VI partageraient une vision protestante de Marie, alors que leur mariologie globale est radicalement incompatible avec la Réforme.


C. Troisième erreur : Anachronisme dogmatique

Erreur méthodologique : Juger les positions du XIIe et XIVe siècle à l'aune d'un dogme défini en 1854.


Principe herméneutique correct : Évaluer les auteurs selon les catégories théologiques de leur époque, en tenant compte :

  • Du débat intellectuel contemporain

  • Des limites philosophiques (animation différée)

  • De l'absence de définition magistérielle

  • De la légitimité du pluralisme théologique sur les questions ouvertes


IV. La distinction scolastique : secundum causam vs in forma

Explication de la distinction


Cette distinction, héritée de la philosophie aristotélicienne christianisée, structure le débat médiéval :


1. Péché originel "secundum causam" (selon la cause)


Signification : Marie a été conçue par génération charnelle naturelle (union de Joachim et Anne). Selon la doctrine catholique, le péché originel se transmet avec la nature humaine par propagation. Comme l'enseigne Paul VI citant le Concile de Trente : "le péché originel se transmet avec la nature humaine, « non par imitation, mais par propagation » et qu'il est ainsi « propre à chacun »" (Homélie du 30 juin 1968).


Cette génération charnelle naturelle est donc la cause ordinaire de transmission du péché originel aux descendants d'Adam.


Position de Clément VI : "Ceci est hors de doute" - c'est un fait théologique : Marie, conçue naturellement, est soumise à la loi commune de propagation du péché originel.


2. Péché originel "in forma" / "in actu" (en acte, effectivement)


Signification : L'âme de Marie, au moment de sa création et de son infusion dans le corps, a-t-elle été effectivement privée de la grâce sanctifiante ?


Position de Clément VI : "Il y a doute et controverse entre les docteurs" - la question reste ouverte.


Conséquence pastorale de Clément VI

"La fête de la Conception de la Bienheureuse Vierge se fêtera par juste raison, quelle que soit l'opinion théologique adoptée."

Logique :

  • Si Marie fut conçue dans le péché (opinion dominicaine) → elle fut sanctifiée immédiatement après → la fête est légitime

  • Si Marie fut préservée du péché (opinion franciscaine) → la fête célèbre ce privilège → elle est évidemment légitime


Nature de la position : Prudence magistérielle permettant la coexistence liturgique malgré le pluralisme théologique.


V. La solution scotiste : dépassement des objections bernardines


Le génie théologique de Duns Scot (†1308)

Source vérifiée : Ordinatio, Livre III, distinction 3, question 1.


L'objection apparemment insurmontable


Au XIIIe siècle, la majorité des théologiens opposait cette objection : si Marie n'a jamais eu le péché originel, elle n'a pas été rachetée par le Christ. Or le Christ est le Rédempteur universel. Donc Marie a nécessairement contracté le péché originel.


La réponse scotiste : la "rédemption préservatrice"


Intuition de Scot :

  1. Si l'âme de Marie est créée et infusée au moment même de la conception (animation immédiate, non différée)

  2. Alors Dieu peut préserver cette âme du péché originel dès son premier instant d'existence

  3. Marie est ainsi rachetée préventivement par les mérites du Christ appliqués par anticipation

  4. Elle a donc bien besoin du Christ Rédempteur (universalité préservée)

  5. Mais rachetée par préservation plutôt que par libération


Formule célèbre (attribuée à Scot, mais originellement d'Anselme) :

"Potuit, decuit, ergo fecit" - "Dieu pouvait le faire, cela convenait, donc il l'a fait."

Analogie scotiste :

"Empêcher quelqu'un de tomber dans un fossé est une forme de sauvetage plus parfaite que de l'en retirer après sa chute."

Conséquence pour les objections bernardines


La théologie scotiste dépasse (sans condamner) les limites philosophiques de Bernard :

  • L'objection "on ne peut sanctifier ce qui n'existe pas" → résolue par l'animation immédiate

  • L'objection "seul le Christ conçu sans péché" → résolue par la rédemption préservatrice (Marie rachetée dès sa conception)


VI. Ce qui invalide l'utilisation protestante de ces sources


A. La soumission à l'autorité romaine


Bernard déclare explicitement se soumettre à l'autorité de l'Église romaine. Or cette même autorité définira le dogme en 1854. Utiliser Bernard contre cette autorité contredit sa propre position ecclésiologique.


Logique contradictoire du site "Par la foi" :

  • Citer Bernard comme autorité

  • Mais rejeter l'autorité à laquelle Bernard se soumet

  • Ignorer que Bernard accepterait le jugement ultérieur de Rome


B. La mariologie incompatible avec le protestantisme


La mariologie de Bernard et la position de Clément VI incluent :

✅ Marie médiatrice et canal de grâce → Rejeté par la Réforme (solus Christus)

✅ Marie impeccable (sans péché actuel) → Rejeté par la Réforme (tous ont péché)

✅ Marie sanctifiée in utero avant sa naissance → Rejeté par la Réforme

✅ Marie au-dessus des anges → Rejeté par la Réforme

Célébration liturgique en l'honneur de Marie → Minimisée par la Réforme


Conclusion logique : On ne peut citer des auteurs dont la mariologie globale contredit le protestantisme pour valider une position protestante. C'est méthodologiquement incohérent.


C. Le pluralisme théologique légitime dans l'Église catholique


Principe catholique : Sur les questions non encore définies par le Magistère, le pluralisme théologique entre écoles orthodoxes est légitime.


Application au cas présent :

  • Avant 1854 : Dominicains (maculistes) et Franciscains (immaculistes) coexistent légitimement

  • 1854 : Pie IX définit ex cathedra l'Immaculée Conception

  • Après 1854 : La position dominicaine devient caduque (mais ses défenseurs antérieurs ne sont pas condamnés rétroactivement)


Différence avec le protestantisme :

  • Protestantisme : Les Pères et docteurs validant mes positions = arguments contre Rome

  • Catholicisme : Les Pères et docteurs = étapes d'un processus guidé par l'Esprit, transcendé par le Magistère


VII. Conclusion : Méthodologie et honnêteté intellectuelle


Ce que l'analyse a démontré


Sur Clément VI :

  1. Il ne "s'oppose" pas à l'Immaculée Conception mais suspend prudemment son jugement

  2. Il distingue ce qui est certain (mode naturel de conception) de ce qui est débattu (préservation effective)

  3. Il autorise la célébration liturgique quelle que soit l'opinion théologique adoptée

  4. Sa position est celle d'un pasteur permettant la coexistence dans le débat


Sur saint Bernard :

  1. Il rejette une fête liturgique non autorisée, non une doctrine

  2. Ses objections reposent sur des présupposés philosophiques (animation différée) qui seront dépassés

  3. Il se soumet explicitement à l'autorité de l'Église romaine pour trancher la question

  4. Sa mariologie globale (médiatrice, impeccable, sanctifiée in utero) est incompatible avec le protestantisme


Sur le site "Par la foi" :

  1. Les citations sont exactes mais sélectives

  2. L'interprétation commet trois erreurs : confusion opinion/opposition, citation tronquée, anachronisme

  3. La démarche est méthodologiquement incohérente : utiliser des auteurs soumis à Rome contre Rome, et dont la mariologie contredit le protestantisme


Principe méthodologique fondamental


L'honnêteté intellectuelle exige :

✅ Citer les auteurs dans leur contexte intégral

✅ Respecter leur cadre ecclésiologique (soumission à l'autorité)

✅ Reconnaître leurs limites historiques (philosophie de leur temps)

✅ Distinguer opinion provisoire et opposition doctrinale

✅ Admettre que leur mariologie globale peut contredire l'usage qu'on en fait

❌ Ne pas instrumentaliser des sources contre l'autorité à laquelle elles se soumettent


Question finale pour le lecteur protestant


Si Bernard de Clairvaux revenait aujourd'hui, accepteriez-vous :

  1. Sa doctrine de Marie médiatrice et canal de grâce ?

  2. Sa doctrine de Marie sans péché actuel ?

  3. Sa doctrine de Marie sanctifiée avant sa naissance ?

  4. Sa soumission à l'autorité de l'Église romaine pour trancher les controverses ?


Si la réponse est "non" à l'une de ces questions, alors vous utilisez malhonnêtement un auteur dont la théologie globale contredit votre position.


Question finale pour le lecteur catholique


Si un apologète protestant vous cite Clément VI ou Bernard contre l'Immaculée Conception, demandez-lui de lire intégralement :

  • La soumission de Bernard à l'autorité romaine

  • Sa mariologie exaltée dans les homélies

  • La distinction de Clément VI (ouverture, non opposition)

  • La cohérence ecclésiologique de leur démarche


L'histoire ne doit pas être un arsenal apologétique où l'on pille des citations. Elle doit être accueillie dans sa complexité, avec honnêteté, en respectant le contexte et la cohérence globale des auteurs.


Sources et références


Sources primaires vérifiées


Saint Bernard de Clairvaux :

  • Epistola 174 ad canonicos Lugdunenses, dans Sancti Bernardi Opera omnia, t. VII, éd. J. Leclercq, C.H. Talbot, H.M. Rochais, Rome, Editiones Cistercienses, 1974

  • Sermon sur la Nativité de la Vierge Marie, Patrologia Latina 183


Thomas d'Aquin :

  • Summa Theologiae, Tertia Pars, question 27, article 2


Jean Duns Scot :

  • Ordinatio, Livre III, distinction 3, question 1


Sources secondaires


John Henry Newman :

  • A Letter Addressed to Rev. E.B. Pusey, D.D., on Occasion of His Eirenicon, 1866 (source de la citation de Clément VI)


Documents magistériels

  • Pie IX, Bulle Ineffabilis Deus, 8 décembre 1854


Note finale : Cette analyse a été rédigée dans un esprit de charité intellectuelle et de recherche de vérité historique. Elle ne vise pas à dénigrer les personnes protestantes sincères, mais à corriger une erreur méthodologique dans l'utilisation de sources catholiques. La vérité exige rigueur et honnêteté, quelle que soit notre tradition confessionnelle.


je vous partage 2 liens vers un site d'apologétique catholique sur notre très Sainte Vierge Marie :


 
 
 

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