Réponse à l’affirmation selon laquelle l’article 6 du droit canonique autoriserait la détention d’images pornographiques de mineurs de plus de 14 ans
- refaelbastard
- 29 oct.
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Introduction : l’erreur logique de l’argument du silence
L’affirmation selon laquelle l’article 6 des normes canoniques autoriserait implicitement la détention d’images pornographiques de mineurs de plus de 14 ans repose sur un raisonnement fallacieux appelé argument du silence. Ce sophisme consiste à conclure qu’un fait non mentionné explicitement dans un texte serait permis ou toléré.
Le texte incriminé (Article 6, § 1) précise :
Les délits les plus graves contre les mœurs réservés au jugement de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sont :
1° le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis par un clerc avec un mineur de moins de dix-huit ans ; est ici équiparée au mineur la personne qui jouit habituellement d’un usage imparfait de la raison ;
2° l’acquisition, la détention ou la divulgation, à une fin libidineuse, d’images pornographiques de mineurs de moins de quatorze ans de la part d’un clerc, de quelque manière que ce soit et quel que soit l’instrument employé.
§ 2. Le clerc qui accomplit les délits dont il s’agit au § 1 sera puni selon la gravité du crime, sans exclure le renvoi ou la déposition.
Ce texte ne dit nullement que la détention d’images pornographiques de personnes de plus de 14 ans serait autorisée. Il précise simplement que certains délits, jugés particulièrement graves, relèvent d’une procédure spéciale réservée au jugement de la Congrégation (aujourd’hui Dicastère) pour la Doctrine de la Foi. Le silence sur d’autres situations ne constitue en aucun cas une autorisation, mais seulement une distinction procédurale et de compétence juridictionnelle.
I. Le principe juridique : distinction entre gravité procédurale et permission morale Une analogie éclairante
Cette logique erronée peut être comparée à l’interprétation suivante : si une loi routière précise que « la conduite sous l’emprise de l’alcool avec un taux supérieur à 0,8 g/l est un délit aggravé passible de lourdes sanctions », cela ne signifie absolument pas que conduire avec un taux inférieur serait permis. Il reste interdit, sanctionné et moralement répréhensible, mais la loi organise un seuil pour les peines les plus lourdes.
De même, si le Code pénal français précise que « le meurtre avec préméditation estpassible de réclusion criminelle à perpétuité », cela ne signifie pas que le meurtre sans préméditation serait autorisé. Il reste illégal et punissable, mais avec une qualification et des sanctions différentes.
Application au droit canonique
Le Code de droit canonique réserve une procédure spéciale et des sanctions maximales aux cas impliquant des mineurs de moins de 14 ans (puis de 18 ans selon les révisions). Cela ne crée aucune autorisation pour les autres cas : c’est une distinction de gravité procédurale, non une zone de permission.
II. Les textes canoniques : condamnation universelle des abus sexuels
A. Canon 1395 – Les délits contre le sixième commandement
Canon 1395 du Code de droit canonique :
§ 1. Le clerc concubin, en dehors du cas dont il s’agit au can. 1394, et le clerc qui persiste avec scandale dans une autre faute extérieure contre le sixième commandement du Décalogue, seront punis de suspense, et si, après monition, ils persistent dans leur délit, d’autres peines pourront être graduellement ajoutées, y compris le renvoi de l’état clérical.
§ 2. Le clerc qui a commis d’une autre façon un délit contre le sixième commandement du Décalogue, si vraiment le délit a été commis publiquement, sera puni de justes peines, y compris, si le cas l’exige, le renvoi de l’état clérical.
§ 3. De la même peine dont il est question au § 2, sera puni le clerc qui, avec violence, menaces ou par abus d’autorité commet un délit contre le sixième commandement du Décalogue ou contraint quelqu’un à réaliser ou à subir des actes sexuels.
B. Canon 1398 – Délits contre la vie, la dignité et la liberté humaines
Canon 1398 du Code de droit canonique :
§ 1. Sera puni de la privation de l’office et d’autres justes peines, y compris, si c’est le cas, le renvoi de l’état clérical, le clerc :*
1° qui commet un délit contre le sixième commandement du Décalogue avec un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou avec une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire ;
2° qui recrute ou conduit un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire, à réaliser ou à participer à des exhibitions pornographiques réelles ou simulées ;
3° qui conserve, exhibe ou divulgue de quelque façon que ce soit et avec quelque moyen que ce soit, des images pornographiques, acquises de façon immorale, de mineurs ou de personnes habituellement affectées d’un usage imparfait de la raison.
§ 2. Le membre d’un institut de vie consacrée ou d’une société de vie apostolique, et n’importe quel fidèle qui jouit d’une dignité ou accomplit un office ou une fonction dans l’Église, s’il commet le délit dont il est question au § 1, ou au can. 1395, § 3, sera puni selon le can. 1336, §§ 2-4, avec l’ajout d’autres peines suivant la gravité du délit.
Ces canons établissent clairement que :
- Tous les délits contre le sixième commandement commis par des clercs sont
punissables.
- La conservation, exhibition ou divulgation d’images pornographiques de mineurs est un délit grave.
- Les sanctions peuvent aller jusqu’au renvoi de l’état clérical.
C. Document sur l’attitude des supérieurs majeurs face aux délits contre les mœurs Extrait du document « L’attitude des supérieurs majeurs face aux délits les plus graves contre les mœurs » :
Les délits concernés incluent le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis sur quelqu’un avec violence, menace ou abus d’autorité, sur un mineur de 18 ans, sur une personne vulnérable ou assimilée.
Le délit contre le 6ème commandement peut inclure, par exemple, les relations sexuelles consenties et non consenties, le contact physique avec arrière-pensée sexuelle, l’exhibitionnisme, la masturbation, la production de pornographie, l’incitation à la prostitution, les conversations et/ou avances à caractère sexuel, même sur les réseaux sociaux.
III. Le Motu Proprio « Vos estis lux mundi » : élargissement de la protection Lettre apostolique en forme de Motu Proprio « Vos estis lux mundi » du Pape François :
Article 1 – Domaine d’application
§ 1. Les présentes normes s’appliquent en cas de signalements relatifs à des clercs ou à des membres d’Instituts de vie consacrée ou de Sociétés de vie apostolique concernant :
a) un délit contre le 6ème commandement du Décalogue commis avec violence ou menace ou par abus d’autorité, ou en forçant quelqu’un à accomplir ou à subir des actes sexuels ; un délit contre le 6ème commandement du Décalogue commis avec un mineur ou avec une personne qui a habituellement un usage imparfait de la raison ou avec un adulte vulnérable ; l’acquisition immorale, la conservation, l’exposition ou la diffusion, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, d’images pornographiques de mineurs ou de personnes ayant habituellement un usage imparfait de la raison ; le recrutement ou l’incitation d’un mineur ou d’une personne ayant habituellement un usage imparfait de la raison ou d’un adulte vulnérable à se montrer dans des images pornographiques ou à participer à des exhibitions pornographiques réelles ou simulées.
Définitions (Article 1, § 2) :
a) « mineur » : toute personne âgée de moins de dix-huit ans ; la personne qui a habituellement un usage imparfait de la raison est équiparée à un mineur ;
b) « adulte vulnérable » : toute personne se trouvant dans un état d’infirmité, de déficience physique ou psychique, ou de privation de liberté personnelle qui, de fait, limite, même occasionnellement, sa capacité de compréhension ou de volonté, ou en tout cas de résistance à l’offense ;
c) « matériel de pornographie avec mineurs » : toute représentation, indépendamment du moyen utilisé, d’un mineur impliqué dans une activité sexuelle explicite, réelle ou simulée, et toute représentation d’organes sexuels de mineurs à des fins de luxure ou de gain.
Article 20 – Respect des lois de l’État
➢ Les présentes normes s’appliquent sans préjudice aux droits et obligations établis en chaque lieu par les lois étatiques, en particulier pour ce qui concerne les éventuelles obligations de signalement aux autorités civiles compétentes.
Ce Motu Proprio précise dans son préambule :
➢ « Il est bon que soient adoptées au niveau universel des procédures visant à prévenir et à contrer ces crimes qui trahissent la confiance des fidèles. »
IV. Le Vademecum du Dicastère pour la Doctrine de la Foi
Vademecum sur quelques points de procédure dans le traitement des cas d’abus sexuel sur mineur commis par des clercs (version 2.0, 5 juin 2022) :
I. Qu’est-ce qui constitue le délit ?
1. Le délit dont il s’agit comprend tout péché extérieur contre le sixième commandement du décalogue commis par un clerc avec un mineur (cf. can. 1398 § 1,1° CIC ; art. 6, 1° SST).
2. La typologie du délit est très large et peut inclure, par exemple, les relations sexuelles consenties et non consenties, le contact physique avec arrière-pensée sexuelle, l’exhibitionnisme, la masturbation, la production de pornographie, l’incitation à la prostitution, les conversations et/ou avances à caractère sexuel, même sur les réseaux sociaux.
3. L’âge du mineur concerné par ce délit a varié dans le temps. Jusqu’au 30 avril 2001, il était de moins de 16 ans. Depuis le 30 avril 2001, date de promulgation du motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela, l’âge a été universellement relevé à 18 ans. Cette disposition est encore en vigueur actuellement.
Évolution des normes sur les images pornographiques :
6. En 2010, SST a également introduit trois nouveaux délits sur mineur, à savoirl’acquisition, la détention – même temporaire – et la divulgation d’images pornographiques de mineurs de moins de 14 ans (depuis le 1er janvier 2020 : de 18 ans) de la part d’un clerc, à une fin libidineuse, de quelque manière que ce soit et quel que soit l’instrument employé (cf. art. 6 § 1, 2° SST). Du 1er juin au 31 décembre 2019, l’acquisition, la détention et la divulgation de matériel pornographique impliquant des mineurs entre 14 et 18 ans, de la part de clercs ou de membres d’instituts de vie consacrée ou de sociétés de vie apostolique, constituent des délits relevant de la compétence d’autres Dicastères (cf. art. 1 et 7 VELM). Depuis le 1er janvier 2020, pour ce qui concerne les clercs, la compétence appartient au Dicastère pour la Doctrine de la Foi.
Point essentiel (n° 7) :
➢ Il est donc souligné que ces trois délits, dans leur formulation actuelle, ne peuvent être poursuivis canoniquement qu’à partir de l’entrée en vigueur de SST du 21 mai 2010. En revanche, la production de pornographie impliquant des mineurs entre dans la catégorie du délit indiqué aux n. 1-4 de ce Vademecum. C’est pourquoi elle doit aussi être poursuivie pour des faits antérieurs à cette
date.
V. L’enseignement moral de l’Église : condamnation universelle de la pornographie Catéchisme de l’Église catholique
Article 2356 :
➢ « Le viol désigne l’entrée par effraction, avec violence, dans l’intimité sexuelle d’une personne. Il est atteinte à la justice et à la charité. Le viol blesse profondément le droit de chacun au respect, à la liberté, à l’intégrité physique et morale. Il crée un préjudice grave, qui peut marquer la victime sa vie durant. Il est toujours un acte intrinsèquement mauvais. Plus grave encore est le viol commis de la part des parents (cf. inceste) ou d’éducateurs envers les enfants qui leur
sont confiés. »
L’Église catholique condamne universellement toute forme de pornographie dans son enseignement moral, sans exception d’âge ou de circonstance. Cette condamnation s’applique à tous les fidèles, et particulièrement aux clercs tenus à la chasteté parfaite.
VI. Comparaison avec le droit français
En France, la législation pénale sanctionne sévèrement la pédophilie et la détention d’images pédopornographiques :
Articles 227-22 et suivants du Code pénal :
- Font de la corruption et des atteintes sexuelles sur mineur des délits ou crimes, avec des peines variant selon la nature de l’acte et l’âge de la victime.
- Les agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans relèvent automatiquement de la qualification criminelle, entraînant jusqu’à 20 ans de réclusion selon les circonstances.
Article 227-23 du Code pénal :
- La simple détention, consultation ou diffusion d’images pédopornographiques est réprimée pénalement, quelle que soit la situation. Le droit canonique, comme le droit français, ne crée aucune zone de tolérance : il organise des procédures et des sanctions différenciées selon la gravité des faits.
VII. Analyse logique : déconstruction du syllogisme erroné
Le syllogisme invalide
Prémisse 1 : L’article 6 sanctionne spécifiquement la possession d’images pornographiques de mineurs de moins de 14 ans.
Prémisse 2 : Il ne mentionne pas explicitement celles de plus de 14 ans.
Conclusion erronée : Donc, ces dernières seraient autorisées.
Le syllogisme correct
Prémisse 1 : L’Église condamne toute pornographie, sans exception, dans son enseignement moral universel.
Prémisse 2 : Certains cas, jugés plus graves ou nécessitant une procédure spéciale, sont réservés à des instances particulières (Dicastère pour la Doctrine de la Foi).
Conclusion valide : La spécification procédurale ne limite en rien la portée universelle
de la condamnation morale. Le silence juridique ne vaut jamais approbation morale.
Conclusion générale
L’article 6 des normes canoniques ne dit pas que la détention d’images pornographiques de personnes de plus de 14 ans serait autorisée par l’Église catholique. Il précise uniquement la qualification canonique des « délits les plus graves» et la procédure correspondante relevant de la compétence du
Dicastère pour la Doctrine de la Foi. Sur le plan moral et doctrinal :
- L’Église condamne universellement toute forme de pornographie et tout usage libidineux d’images de personnes, mineures ou majeures.
- Toute atteinte à la dignité humaine liée à la pornographie est réprouvée.
- Cette condamnation s’applique avec une rigueur particulière aux clercs, tenus à la
chasteté parfaite.
Sur le plan canonique :
- La distinction entre « mineurs de moins de 14 ans » (puis de 18 ans selon les révisions) organise la compétence juridictionnelle et la gravité procédurale.
- Cette distinction ne crée aucune permission implicite pour d’autres situations.
- Tous les délits contre le sixième commandement, quelle que soit la victime, sont punissables selon le Code de droit canonique.
En somme :
Du point de vue théologique, moral et canonique, la possession d’images pornographiques — quel qu’en soit le contenu ou l’âge des personnes représentées — demeure intrinsèquement désordonnée et constitutive d’un péché grave. L’absence de qualification comme « délit grave réservé » dans un texte canonique spécifique ne constitue ni une approbation ni une autorisation selon la doctrine catholique. Le silence juridique d’un texte procédural ne vaut jamais approbation morale dans un système où la réprobation de toute pornographie demeure constante, universelle et absolue.





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