Une analyse de Luc 1,39-55
- refaelbastard
- 1 nov.
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Marie, Mère de Dieu : Une analyse de Luc 1,39-55
Introduction
L'objet de cet article est d'examiner, par une analyse textuelle et littéraire rigoureuse, la nature de la maternité de la Vierge Marie telle qu'elle se déploie dans l'Évangile selon saint Luc. Face à certaines interprétations réductrices qui voudraient faire de Marie une simple « mère porteuse » ou une femme ordinaire ayant été choisie pour une fonction biologique, nous proposons de démontrer, à partir du texte lui-même, que Marie est authentiquement Theotokos (Mère de Dieu).
Cette démonstration s'appuiera exclusivement sur l'analyse du récit de la Visitation (Lc 1,39-55), en laissant de côté l'étude du terme kecharitomene (« comblée de grâce », Lc 1,28), déjà magistralement traitée par d'autres auteurs. Pour une analyse approfondie de ce terme au parfait passif et de sa signification selon les Pères grecs, nous recommandons vivement l'excellent article disponible ici : Lc 1,28 et le parfait passif « κεχαριτωμένη » : les Pères grecs dévoilent la sainteté antérieure de Marie – Ecce Mater Tua
I. Le contexte narratif : l'empressement de Marie (Lc 1,39-40)
Le récit s'ouvre sur un mouvement : « En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. » L'expression grecque meta spoudes (« avec empressement ») n'est pas anodine. Elle évoque une urgence spirituelle, une conscience de la mission dont Marie est investie.
Ce déplacement de Marie préfigure déjà son rôle : elle porte en elle le Verbe incarné et se met en route pour servir. Loin d'être passive, Marie agit comme celle qui transmet la grâce qu'elle porte. L'humilité de sa démarche (elle vient servir Élisabeth, sa parente âgée et enceinte) ne diminue en rien la grandeur de sa dignité, mais l'illustre au contraire.
II. La salutation de Marie et le tressaillement de Jean-Baptiste (Lc 1,41)
« Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit en elle. » Ce tressaillement de Jean-Baptiste dans le sein maternel n'est pas un simple mouvement fœtal ordinaire. Le texte lucanien établit une causalité explicite : c'est à la voix de Marie que l'enfant tressaillit.
Ce détail est d'une importance capitale. Jean-Baptiste, encore dans le sein d'Élisabeth, reconnaît la présence du Messie porté par Marie. Ce tressaillement est prophétique : il anticipe le ministère de Jean-Baptiste, le Précurseur qui désignera Jésus comme « l'Agneau de Dieu ».
Ce qui nous est révélé ici, c'est que Marie n'est pas un simple réceptacle neutre. Sa présence même, porteuse du Christ, opère un effet sanctifiant. La voix de Marie devient l'instrument par lequel la grâce du Christ se manifeste. Elle est médiatrice en ce sens qu'elle conduit vers le Christ et que sa présence physique, par laquelle elle porte le Verbe incarné, devient occasion de grâce pour autrui.
III. Élisabeth remplie de l'Esprit Saint (Lc 1,41b)
« Alors, Élisabeth fut remplie d'Esprit Saint. » Cette effusion de l'Esprit Saint sur Élisabeth survient immédiatement après la salutation de Marie. La structure narrative établit une séquence claire :
Marie salue Élisabeth
Jean-Baptiste tressaillit
Élisabeth est remplie de l'Esprit Saint
Le texte ne laisse aucune ambiguïté : ces trois événements sont liés causalement. C'est la venue de Marie, porteuse du Christ, qui déclenche cette double effusion de grâce. Cette précision est essentielle : c'est bien parce que Marie porte le Christ que sa présence est source de sanctification. Néanmoins, le texte lucanien attribue explicitement à Marie le rôle actif dans cette séquence : c'est sa salutation, sa voix, sa présence qui sont l'occasion de l'action de l'Esprit. Marie n'agit jamais indépendamment du Christ – elle en est la porteuse fidèle – mais elle agit réellement comme médiatrice de sa présence.
IV. La proclamation d'Élisabeth : « Tu es bénie entre toutes les femmes » (Lc 1,42)
« Et s'écria d'une voix forte : 'Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.' » Cette double bénédiction est prononcée sous l'inspiration de l'Esprit Saint, comme le texte vient de le préciser. Il ne s'agit donc pas d'une simple formule de politesse humaine, mais d'une parole prophétique inspirée.
La structure parallèle de cette bénédiction associe indissociablement Marie et l'enfant qu'elle porte : « Tu es bénie... et le fruit de tes entrailles est béni. » Marie est bénie parce qu'elle porte le Béni, mais elle est aussi bénie en elle-même, « entre toutes les femmes ». Cette expression (eulogemene su en gunaisin) reprend une formulation biblique qui désigne des femmes ayant joué un rôle providentiel dans l'histoire du salut (Judith 13,18 ; Juges 5,24 pour Yaël).
Mais Marie occupe une place unique : elle est bénie entre toutes. La bénédiction de Marie ne se réduit pas à une fonction biologique ; elle englobe sa foi, son obéissance, sa coopération libre au dessein divin.
V. Le titre théologique central : « La mère de mon Seigneur » (Lc 1,43)
« D'où m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ? » Ce verset constitue le sommet théologique du récit. Élisabeth, remplie de l'Esprit Saint, confère à Marie le titre de « mère de mon Seigneur » (he meter tou kuriou mou).
Pour comprendre la portée de cette affirmation, deux questions s'imposent :
Qui est le Seigneur d'Élisabeth ?
Dans le contexte de l'Ancien Testament et du judaïsme du Second Temple, le titre « Seigneur » (Kurios) renvoie principalement à Dieu lui-même. C'est le terme utilisé dans la Septante pour traduire le Tétragramme sacré YHWH. Certes, le terme peut aussi désigner un maître humain, mais dans un contexte aussi manifestement théologique, où l'Esprit Saint inspire la parole d'Élisabeth, l'identification est claire : le Seigneur, c'est Dieu.
Saint Luc emploie systématiquement le terme Kurios pour désigner Dieu le Père dans les chapitres de l'enfance (Lc 1,6.9.11.15.16.17.25.28.32.38.45.46.58.66.68.76). Lorsqu'Élisabeth déclare que Marie est « la mère de mon Seigneur », elle reconnaît que l'enfant porté par Marie est le Seigneur, c'est-à-dire Dieu.
Qui est la mère ?
Marie est donc identifiée comme la mère de celui qu'Élisabeth appelle « mon Seigneur ». Le syllogisme théologique est simple et rigoureux :
L'enfant de Marie est le Seigneur (Dieu)
Marie est la mère de cet enfant
Donc Marie est mère de Dieu
Cette conclusion n'est pas une extrapolation tardive de la théologie chrétienne ; elle est inscrite dans la logique même du texte lucanien. Le Concile d'Éphèse (431) ne fera que confirmer solennellement ce que le texte évangélique affirme déjà : Marie est Theotokos, Mère de Dieu.
VI. Confirmation et précision : Marie, médiatrice des grâces (Lc 1,44)
« Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l'enfant a tressailli d'allégresse en moi. » Ce verset apporte une confirmation explicite de ce qui a été narrativement suggéré au verset 41. Élisabeth elle-même, inspirée par l'Esprit Saint, identifie Marie comme la cause instrumentale des deux grâces précédemment mentionnées :
Le tressaillement prophétique de Jean-Baptiste
L'effusion de l'Esprit Saint sur Élisabeth elle-même
Le texte grec est précis : « lorsque la voix de ta salutation est parvenue à mes oreilles, l'enfant a tressailli. » C'est bien la parole de Marie, sa salutation concrète, qui est l'occasion de cette manifestation de grâce. Marie n'est pas passive dans l'économie du salut ; elle coopère activement, par sa présence, ses paroles, son obéissance.
Cette médiation mariale n'enlève rien à l'unique médiation du Christ. Marie est la première des coopérateurs, celle par qui le Christ est venu dans le monde, celle qui participe de manière unique à son œuvre rédemptrice.
VII. La béatitude de la foi : « Heureuse celle qui a cru » (Lc 1,45)
« Heureuse celle qui a cru à l'accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Cette proclamation d'Élisabeth établit un lien essentiel entre la maternité physique de Marie et sa foi. Marie n'est pas seulement celle qui a enfanté le Christ selon la chair ; elle est d'abord celle qui a cru.
Cette béatitude fait écho à la parole que Jésus lui-même prononcera plus tard : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l'observent ! » (Lc 11,28). Marie est la première des croyants, celle qui a accueilli la Parole de Dieu avec une foi totale et immédiate. Cette dimension de foi ne diminue en rien la réalité de la maternité divine ; elle l'enracine dans la liberté et l'obéissance de Marie. C'est par son « fiat » que le Verbe s'est fait chair.
VIII. Le Magnificat : Marie loue le Seigneur (Lc 1,46-55)
Face aux titres extraordinaires qu'Élisabeth lui confère, Marie ne se glorifie pas elle-même. Au contraire, elle se tourne immédiatement vers Dieu en un cantique de louange : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! »
Cette réponse de Marie est révélatrice de son humilité authentique. Bien qu'elle soit reconnue comme « Mère de Dieu » et « bénie entre toutes les femmes », elle se proclame « humble servante » (tapeinosin tes doules autou). L'humilité de Marie ne contredit pas sa grandeur ; au contraire, elle en est le fondement. C'est précisément parce qu'elle s'est abaissée que Dieu l'a élevée.
La prophétie universelle : « Tous les âges me diront bienheureuse » (Lc 1,48b)
« Désormais tous les âges me diront bienheureuse. » Cette parole prophétique de Marie engage tous les chrétiens de tous les temps. Elle n'est pas une option pieuse, mais une conséquence nécessaire de la reconnaissance du mystère de l'Incarnation. Si Marie est véritablement la Mère de Dieu, alors toutes les générations sont appelées à la proclamer bienheureuse.
Cette proclamation est un test ecclésiologique. Les catholiques proclament Marie bienheureuse. Les orthodoxes la vénèrent sous le titre de Panagia (Toute-Sainte). Mais qu'en est-il de ceux qui refusent d'honorer Marie selon cette parole évangélique ?
Ne pas honorer Marie comme elle le demande elle-même dans son cantique prophétique, c'est refuser de se soumettre à l'Écriture inspirée. C'est ignorer la volonté explicite de Dieu révélée dans sa Parole. Cette affirmation peut sembler forte, mais elle repose sur une logique scripturaire irréfutable : Marie elle-même prophétise que toutes les générations la diront bienheureuse. Ne pas le faire, c'est contredire la prophétie inspirée par l'Esprit Saint.
Conclusion
L'analyse textuelle et littéraire du récit de la Visitation démontre avec clarté que Marie n'est ni une simple « mère porteuse » ni une femme ordinaire choisie pour une fonction biologique. Elle est authentiquement, selon la formulation d'Élisabeth inspirée par l'Esprit Saint, « la mère de mon Seigneur », c'est-à-dire la Mère de Dieu.
Cette maternité divine s'accompagne d'une médiation réelle : par sa présence, par sa voix, par sa salutation, Marie transmet la grâce du Christ qu'elle porte. Elle est l'instrument conscient et libre par lequel le Verbe incarné commence son œuvre de sanctification dès le sein maternel.
La grandeur de Marie ne réside pas dans une exaltation autonome, mais dans son union parfaite au Christ. Elle est grande parce qu'elle est la mère de Celui qui est grand. Elle est bienheureuse parce qu'elle a cru. Elle est médiatrice parce qu'elle porte le Médiateur.
Face à ce témoignage scripturaire, chaque chrétien est appelé à répondre : proclamons-nous Marie bienheureuse, comme elle l'a prophétisé et comme l'Écriture l'exige ? Notre réponse à cette question n'est pas anodine ; elle révèle notre fidélité à la Parole de Dieu et notre appartenance à l'Église que le Christ a fondée sur le témoignage des Apôtres et des Prophètes.
Que Marie, Mère de Dieu et notre Mère, intercède pour nous afin que nous sachions l'honorer dignement et suivre son exemple de foi et d'humilité.
« Celui qui m'a créée a reposé dans ma tente. » (Siracide 24,8) – Parole qui trouve son accomplissement parfait en Marie, tabernacle du Très-Haut.





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